Une démarche en dictée pour enseigner l’orthographe

Enseigner l'orthographe - infographie

Si pendant longtemps, la dictée traditionnelle a fait office d’évaluation sanction, il en existe aujourd’hui de nombreuses autres formes qui lui octroient une fonction formative : dictée frigo, dictée négociée, dictée préparée, dictée caviardée, dictée retournée… autant de modalités de travail qui mettent l’élève en activité et permettent à l’enseignant de cibler des compétences précises et explicites.

Cet article décrit la manière dont j’ai mis en place et rôdé une démarche de travail auprès de collégiens porteurs de troubles cognitifs. Bien qu’instaurée sur les temps de regroupement en ULIS, elle peut tout à fait être reprise telle quelle – ou bien être adaptée – dans des classes ordinaires.

Présentation du groupe d’élèves :

Le groupe est composé d’une douzaine de collégiens, scolarisés de la 6ème à la 3ème, avec des niveaux très hétérogènes, oscillant de la jeune allophone peu familiarisée avec les mots et les sons de notre langue, à l’élève très performante en orthographe lexicale, mais un peu moins en orthographe grammaticale. Ajoutons-y des élèves dyslexiques, dont certains ont une conscience phonologique troublée, d’autres une incapacité à mémoriser l’orthographe des mots irréguliers en recourant à la voie d’adressage, le tout avec des capacités d’inhibition déficitaires ou encore des difficultés à planifier les étapes de la relecture.

Comment faire alors de la dictée un réel temps d’apprentissage, et notamment au profit des élèves les plus fragiles en orthographe ? Et comment gérer une telle hétérogénéité ?

 

Composition des groupes :

Les élèves sont répartis en groupes à peu près homogènes sur la base de leurs difficultés majeures, avec des effectifs variant entre 2 et 3 individus. Ainsi, le groupe 4 rassemble les 3 élèves les plus performants, surtout en orthographe lexicale, tandis que le groupe 1 est composé de jeunes ayant une conscience phonologique troublée. Les 2 autres ont un niveau intermédiaire, avec des élèves dont la voie d’assemblage est préservée, mais avec des difficultés à mémoriser les mots irréguliers et à retenir les règles grammaticales.

La disposition des tables a évolué au cours du temps : les schémas ci-dessous vous présentent l’organisation initiale et celle actuelle, à la lumière des inconvénients éprouvés et déplorés par les élèves eux-mêmes dans la première configuration lors de la phase de rédaction commune.

Disposition spatiale initiale
Disposition spatiale actuelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Déroulé chronologique :

La dictée est assez courte puisqu’elle ne porte jamais sur plus de 3 phrases et ne dépasse pas 5 lignes. Elle se déroule sur une séance d’1 heure, avec 3 étapes successives et ritualisées :

  • une première phase individuelle, où chaque élève écrit seul la dictée ;
  • une seconde phase chronométrée (20 minutes), en groupe cette fois-ci, où les élèves confrontent leurs écrits, échangent et recherchent dans un dictionnaire, avant de produire un texte commun sur une nouvelle feuille ;
  • une dernière phase, collective cette fois-ci, où l’enseignant fait commenter la correction à partir de la projection du texte au tableau.

 

Aménagements pédagogiques :

Le premier des aménagements réside dans la différenciation des exigences attendues : d’un groupe à l’autre, j’assigne une série d’objectifs ciblés que je projette au tableau à partir de l’outil Digiscreen (). En procédant ainsi, je limite la charge cognitive des élèves et j’explicite les points de vigilance orthographique tout en les aidant à mieux planifier leur relecture.

 

Capture d’écran de la projection Digiscreen

 

Dès la première étape, chaque membre peut rédiger, s’il le souhaite, la dictée sur un support papier, où le texte a été préalablement converti à partir d’une police spécifique (), qui permet d’indiquer la segmentation des mots, le nombre de lettres les composant chacun, ainsi que la forme de chacune de celles-ci (pour consulter une étude sur les effets de ces dictées guidées : ).

Texte de la dictée, converti en dictée « cadres » grâce à une police spécifique

 

Les mathématiques, c’est la science des nombres et des formes. Elles aident à comprendre comment le monde et toutes les autres sciences fonctionnent , comme la physique, la chimie, l’informatique…

 

 

 

 

 

 

 

S’ils le préfèrent, il leur est possible également de rédiger sur leur cahier tout en s’aidant de ce support aidant. Il m’arrive parfois de leur retirer une phrase afin de raccourcir la dictée. Enfin, ils disposent chacun d’un dictionnaire orthographique, le Diclé (). Ce dernier dispose d’une seconde partie où l’entrée se fait par la manière dont le mot se prononce pour retrouver la bonne orthographe du mot recherché (ex : aprantisaj -> apprentissage).

Extrait du Diclé

En conjuguant ces 2 outils et en coopérant habilement, les résultats sont très satisfaisants. Pour en fournir une illustration, voici les 3 écrits initiaux de chacun des membres du groupe 1, suivis de leur production finale, issue de leur coopération.

Groupe 1 – élève 1
Groupe 1 – élève 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Groupe 1 – élève 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Groupe 1 – production commune

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En ce qui concerne les autres groupes, moins en difficulté, l’étayage est moindre, mais tout de même présent. Ils ne disposent pas du support aidant, ni du dictionnaire orthographique ; par contre, ils ont à leur disposition des dictionnaires classiques et des fiches outils en orthographe.

Quels enseignements ?

Les intérêts de procéder ainsi sont multiples.

Premièrement, en termes d’engagement, tous les élèves sont pleinement impliqués dans l’activité, puisqu’ils jugent l’objectif assigné comme étant atteignable ; ils ne voient plus l’exercice de la dictée comme une sanction. Elle devient un réel temps d’apprentissage au cours duquel le statut de l’erreur est dédramatisé : les élèves savent qu’ils peuvent se tromper lors de l’étape 1 et améliorer leur production grâce à la phase en groupe. Cette dernière constitue sans doute le moment le plus intense, où les élèves comparent leurs écrits, confrontent leurs points de vue et manipulent les outils à leur disposition.

Deuxièmement, ce scénario pédagogique, désormais ritualisé, permet d’entraîner spécifiquement l’utilisation d’un dictionnaire. Pour des jeunes porteurs de troubles cognitifs, cet outil est encore rarement maîtrisé à l’entrée au collège. Il s’agit donc de créer des occasions régulières pour qu’ils deviennent de plus en plus compétents et autonomes. En domestiquant cet outil, la charge cognitive sera ainsi réduite à l’occasion d’une tâche hautement complexe pour eux, comme une rédaction par exemple.

Troisièmement, travailler ainsi constitue une formidable occasion pour expliciter et entraîner le travail de groupe. La coopération n’est pas une démarche évidente à mettre en œuvre et c’est pourquoi elle doit être enseignée en tant que telle. De ce fait, au début de la troisième étape de la séance, j’y consacre nécessairement un temps. Chaque groupe évalue la qualité de son organisation interne (voir pour cela les travaux de Sylvain Connac ) et l’enseignant partage aussi ses observations. Les stratégies pertinentes sont mises en valeur et rappelées lors des séances suivantes, plus particulièrement au début de la phase 2. De la sorte, les élèves sont capables d’énoncer un certain nombre de préceptes pour mener un travail coopératif efficace et efficient. Parmi ceux-ci, on pourra citer :

  • « Pour que chacun participe, c’est mieux de travailler d’abord chacun individuellement, avant de se regrouper et de mutualiser. »
  • « On ne se lance pas comme ça, sans concertation, dans la recherche de mots dans le dictionnaire. On se partage les mots à vérifier. Si on a le temps ou si on a un doute, on peut demander à un camarade d’effectuer une double vérification. »
  • « Quand on se répartit le travail, on vérifie qu’on donne à chacun des membres quelque chose qu’il ou elle sait faire. »
  • « Pour ne pas oublier la répartition des tâches, on établit et on écrit une check-list. »
  • « Quand on travaille à 3, c’est mieux quand le ou la secrétaire du groupe se place au milieu. Comme ça, les autres peuvent vérifier ce qui est écrit. »
check-list de vérifications – groupe 3
check-list de vérifications – groupe 2

Quatrièmement, la correction constitue une phase métacognitive au cours de laquelle je projette au tableau le texte sans erreur et où je demande aux élèves de passer en revue les règles qu’il fallait mobiliser. La verbalisation de celles-ci est importante. Durant cette phase, les élèves corrigent en vert leurs copies individuelles et celle du groupe. Enfin, à l’issue de la séance, je demande à chaque groupe de recenser les erreurs commises et de les catégoriser. On se rend alors compte que la plupart du temps, c’est 1 type d’erreur – et pas plus – qui est relevé plusieurs fois. Cette explicitation des erreurs devient alors un levier en prévision des dictées ultérieures, puisqu’en introduction de chaque dictée, je demande à chaque élève de verbaliser celle qu’il commet le plus souvent, ce qui permet d’accentuer leur vigilance sur celle mentionnée. C’est ainsi que dès la première phase, les élèves du groupe 3 ont été capables de porter leur attention sur l’accord au pluriel du groupe nominal et de ne plus jamais commettre cette erreur par la suite. De même pour le groupe 4 – le plus performant – à qui j’ai ajouté un étage à la fusée, à savoir la règle qui permet de déterminer si un verbe se termine par un infinitif ou un participe passé.

 

Conclusion :

Cette démarche est le fruit d’une évolution au fil de l’eau, en expérimentant par tâtonnements et en analysant les effets de telle ou telle inflexion. Elle est encore perfectible, mais à l’heure actuelle, elle fonctionne plutôt bien. Instaurée en guise de rituel, les élèves en connaissent désormais le déroulé et ont gagné en efficacité, qu’il s’agisse de leur organisation interne, de leur prise en mains des outils et de leurs performances orthographiques. Malgré tout, il faut impérativement varier les modalités des dictées (quelques exemples ici : )

Côté enseignant, elle permet d’abord de gérer l’hétérogénéité des élèves, concept-épouvantail chez les enseignants, mais également, sur le plan de la préparation, elle n’entraîne pas une énorme charge de travail. Elle exige surtout une mobilisation importante en cours de séance, avec une observation fine de l’activité des élèves. Enfin, cette démarche présente un dernier atout non négligeable en ce qui concerne les travaux de groupe : les compétences d’organisation interne sont transférables dans l’ensemble des disciplines, constat que j’ai pu observer à l’occasion de projets nécessitant de recourir à ce savoir-faire.

Enseigner l'orthographe - infographie