Avant d’aborder cette notion d’école inclusive, il me semble nécessaire que l’on s’entende sur ce que veut dire le mot inclusion. L’inclusion, mot polysémique s’il en est, possède des territoires d’usage bien différents. On peut inclure en biologie c’est-à-dire envisager la notion de substances intracellulaire n’appartenant pas aux constituants normaux de la cellule. On peut l’envisager dans le domaine des mathématiques en abordant la relation binaire entre différents ensembles avec une notion d’ordre sur la collection des ensembles. On peut également l’aborder soit en métallurgie soit en minéralogie avec cette notion de corps étranger contenus dans un métal ou dans la plupart des cristaux et minéraux. On peut enfin l’envisager en verrerie avec cette notion propre à l’hétérogénéité due à la présence d’un corps étranger dans le verre. En tout état de cause il s’agit d’envisager une certaine idée d’hétérogénéité dans un corps globalement homogène, et d’y associer une action visant à prendre en considération cette hétérogénéité et à la faire vivre au sein de cet objet commun.
Quand on associe le mot École à celui d’inclusion on est sur une autre dimension. Une dimension plus sociale voire sociétale tout en envisageant que rien n’est gravé dans le marbre qu’il s’agisse de la signification du terme école inclusive comme de sa valeur. Quand on envisage la notion d’école inclusive on l’aborde selon toutes les déclinaisons de l’École. On l’approche d’une manière systémique comme une institution chargée de donner un enseignement collectif veillant à la multiplicité des acteurs en son sein. On l’envisage également selon un aspect lié à l’entité scolaire où l’on donne un enseignement collectif dans un espace donné avec pour cela une dimension prenant en considération la diversité des publics accueillis localement. On l’avance aussi sous l’angle de l’enseignement qui y est dispensé, on entrevoit alors l’aspect lié aux pratiques inclusives. Enfin, on peut également voir l’École inclusive selon une focale prenant en considération les élèves et les enseignants exerçant dans un même établissement scolaire, on découvre un aspect lié à l’aspect social des choses.
Tous ces regards sur l’École inclusive et de l’usage du concept sous-tendu ne doivent pas masquer la réalité souvent rencontrée, semblable à un écran de fumée rhétorique. C’est ce que Charles Gardou appelle « une jonglerie abstraite qui cache une réalité plus trompeuse que vertueuse. Une nouvelle musique d’ambiance ; une danse des mots venue artificiellement se substituer à leurs ancêtres, forgé autour de la notion d’intégration » (la société inclusive, parlons-en ! Charles Gardou, 2013).
À ce sujet, peut-être quelques mots pour définir ensemble cet antagonisme entre d’un côté l’intégration scolaire et de l’autre l’inclusion scolaire, d’un côté ces preuves que doivent fournir tout élève afin d’être scolarisable et scolarisé et d’un autre, cette obligation que l’École s’adapte aux besoins de chaque élève dans un continuum historique débutant par l’exclusion la ségrégation ou la séparation pour en arriver à l’intégration puis à l’inclusion. Deux grandes lois balisent le chemin des élèves en situation de handicap vers l’École. L’une est définie en 1975. Elle déterminera ce que doit être l’intégration des publics handicapés, intégration associant la scolarisation à un effort individuel de l’élève d’adaptation aux règles de l’école.
L’autre grande loi cheminant la scolarisation des élèves en situation de handicap est la loi du 11 février 2005. Elle change de paradigme et envisage d’assurer une scolarisation de qualité à tous les élèves de la maternelle au lycée en prenant en considération leur singularité et leurs besoins éducatifs particuliers. C’est là que tout change puisqu’il s’agit de modifier les pratiques en usage à l’École en fonction des besoins particuliers de chaque élève. Encore faut-il que ses besoins particuliers soient connus et reconnus, que l’on ait sérié le degré de difficulté, de façon à envisager la réponse à apporter.
Tout est là : identifier le besoin à un instant t, envisager une réponse ou des réponses portées par l’ensemble des acteurs, évaluer la portée des réponses proposées, réajuster en fonction.
Mais toute la difficulté est là également : identifier c’est être en mesure de comprendre la ou les difficultés, de prendre en considération le projet de l’élève, de mettre en cohérence l’ensemble des acteurs, d’essayer collégialement, de faire des erreurs, de se tromper mais de modifier tout au long du parcours de l’élève. Les difficultés résident dans l’identification des besoins, et dans la gradation des réponses apportées, avec ce risque trop souvent constaté d’externalisation de la réponse. Il faut en effet envisager un regard collégial sans délégation en envisageant le fait de laisser l’élève dans sa classe, dans son univers, en lui apportant autant que faire se peut une réponse de proximité par son enseignant, metteur en scène de ses apprentissages. À défaut, d’autres acteurs pourront venir en complément qu’il s’agisse d’aide humaine de type « accompagnement des élèves en situation de handicap », d’appui de service de soins si possible dans le cadre de la classe, de personnes ressources susceptibles d’aider l’enseignant dans le cadre de l’adaptation de ses pratiques tout autant que d’appuyer l’élève au regard de ses besoins. Cet enjeu-là n’est pas neutre en terme d’information, de formation, d’accompagnement de l’ensemble des acteurs de l’École car il y va de la cohérence de l’ensemble du système scolaire. Prendre conscience de la diversité du public pour un enseignant c’est aussi faire émerger la nécessité de la diversité des pratiques. Sans cela, le risque est fort de prise de conscience des limites de l’acte pédagogique puis de découragement, avec ce sentiment que la solution viendra forcément d’ailleurs. Tout se tient : l’enseignant formé à la diversité des besoins de ses élèves est à même de diversifier les portes d’entrées didactiques et pédagogiques qu’il utilise. Il est aussi à même, lorsque le besoin se fait sentir, d’interroger les personnes ressources qui sont à sa disposition, les ressources qui peuvent lui venir en aide, de manière, le cas échéant, à demander de l’aide à la communauté éducative qui l’entoure, de manière à réajuster l’appui qu’il propose.
L’école inclusive est donc bien une communauté d’apprenants, envisageant une réelle hétérogénéité du public et donc une diversité des besoins, sans cela, la tâche paraît bien grande lorsque l’enseignant est seul, la porte fermée. Il doit pouvoir parler, informer, s’informer, donner à voir, trouver sa place dans une communauté de pairs renforcée par des experts, chacun partant de son point de vue pour faire avancer en même temps le singulier et le pluriel.
On voit alors pointer le fait qu’il n’y a pas de limite à cette École inclusive. Tout au moins si cette école inclusive est pensée dès le plus jeune âge, en partenariat, en collégialité, avec une volonté pensée d’accessibilité universelle pour les élèves comme pour les adultes, dans un environnement prenant en considération la diversité des acteurs. Il n’y a pas non plus de limite à cette École inclusive si l’on envisage le possible recours à l’ensemble des acteurs, chacun dans sa sphère de compétences sans délégation.
C’est approche questionne la pertinence du maintien de certains dispositifs et structures particulières ou spécialisées. En effet, comment défendre l’idée d’une école incluant toutes les diversités si l’on envisage de maintenir en place des programmes intégratifs voire ségrégatifs avec comme objectif louable de répondre spécifiquement à leurs besoins, en aparté de la classe. Le qualificatif inclusif d’une École est éminemment lié à la capacité des enseignants de mettre en place des adaptations pédagogiques propres aux besoins individuels. Comme l’avançait Mérieux (1996), croire qu’une démocratisation de l’École consiste à donner à tous l’enseignement qui a jusqu’ici convenu à un petit nombre de privilégiés, c’est condamner des élèves à affronter des contenus et des modes d’enseignement auxquels, pour des raisons personnelles, sociales ou familiales, ils ne sont pas préparés.
On peut donc envisager le maintien des dispositifs de scolarisation collective, des structures adaptées, si l’on envisage également leur ouverture vers le milieu dit ordinaire. Les passerelles doivent exister permettant de fait de renforcer les acquisitions des élèves par le biais d’aide de personnes ressources que sont les enseignants spécialisés à des moments ponctuels ou plus longs, dans le cadre du parcours scolaire de l’élève.
Il est une dimension que l’on évoque rarement en matière d’École inclusive, elle est relative à l’acceptation de l’altérité et à la prise de conscience de la singularité des humains. Dans cette perspective, l’école ne peut renvoyer l’image d’une collectivité qui dans les faits, exclut. Développer une école inclusive c’est aussi travailler sur la diversité, dépasser ses propres peurs, envisager la différence comme source de richesse. C’est aussi se donner les moyens de penser une société plus à l’écoute de chacun et de ses besoins.